Il existe des chefs qui vous marquent par leur manière d’appréhender la nourriture, vous touchent gustativement car la cuisine, c’est de l’émotion, et qui vous envoûtent culinairement car la gastronomie, c’est un partage. Claude Brioude, chef Toqué d’Ardèche, en fait partie.

Chef gastronomique de L’Hôtel du Levant à Neyrac-Les-Bains, Claude Brioude s’évertue à sublimer les produits ardéchois et s’amuse tout au long des saisons à décliner les aliments du terroir avec une harmonie originale des saveurs. Truffes, châtaignes, pamplemousses, viandes du pays ardéchois, ou encore tomates, tant de trésors et plus encore, bio et locaux, parcourent sa carte sur l’année et se renouvèlent à chaque fois. Issu d’une longue lignée de cuisiniers (6ème génération depuis 1884), cet homme d’une belle quarantaine d’années entamée fait partie des Toqués d’Ardèche, collectif de onze chefs passionnés, ambassadeurs de leur terroir, et ne manque pas d’attirer ardéchois et touristes dans son restaurant, réputé pour sa gastronomie saine, du marché, originale et succulente.

En cuisine, Claude Brioude travaille avec son père, lui-même cuisinier, sans oublier sa mère et son frère, en salle pour le service. Une entreprise familiale qui tourne, et ce avec succès. Rencontre avec ce chef gastronomique dont la personnalité à de quoi surprendre, et toucher.

 

Comment vous est venu le goût pour la cuisine, et pourquoi ?

Il n’y a pas de pourquoi. Cela fait six générations que nous sommes cuisiniers. Donc il ne peut pas y avoir de pourquoi, c’est tout simplement comme cela, je me suis jamais posé la question. Et je pense sincèrement que c’était une passion de toute façon. Je n’ai jamais eu besoin de me poser la question de ce que j’allais faire de ma vie, c’était être cuisinier. Mon père l’était, tout comme ma grand-mère et mon grand-père…. Et pour moi, c’était implacablement ce que je voulais faire !

Pour être honnête, je pense que même si mon père et mes grands-parents n’étaient pas cuisiniers, je le serais devenu quand même. C’est intrinsèque. Quand je suis en vacance, je cuisine. Quand je suis chez moi, je cuisine. C’est moi, ma manière de faire, le média que j’ai trouvé pour entrer en contact avec les gens. Communiquer, donner du plaisir. Je le fais avec amour.

Quel est le tout premier plat que vous avez appris à cuisiner étant petit ?

Je devais avoir neuf ou dix ans lorsque j’ai commencé à cuisinier, et c’était des gâteaux relativement simples, le premier étant un Fraisier (deux génoises, crème fouettée, fraises). Je m’en rappelle vraiment car c’était le gâteau que nous faisons le dimanche en famille. Ce dont je me souviens également, c’est l’odeur de la tarte à la fraise, à ce moment bien spécifique quand elle est encore tiède et que l’on appose les fraises sur la crème pâtissière. C’est une senteur très particulière qui m’a toujours marqué.

A quel âge avez-vous commencé dans la restauration ?

À quatorze ans ! Je ne faisais qu’éplucher des patates durant les deux mois d’été, en aide à la cuisine, mais c’était un début. Puis je suis arrivé en 1992 au restaurant familial, j’avais tout juste vingt ans, et il a fallu bien dix ans pour que je reprenne entièrement les cuisines.

Vous êtes actuellement le « patron » de votre père qui est en cuisine, et votre mère et frère en salle. Comment se passent les relations familiales ?

Au début, c’est très sécurisant. Et il n’y a pas d’erreur, et il y a toujours quelqu’un pour vous dire comment faire si besoin. Je prends en compte les conseils et remarques de mon père qui m’aide à la réalisation des plats, c’est important d’y porter cette attention. Je ne peux pas faire les choses tout seul, comme je l’entends, car il est là aussi à la réalisation, on est une équipe. Même si tu sais parfaitement ce que tu veux réaliser, à partir du moment où d’autres vont le faire aussi, tu es obligé de faire des concessions, d’écouter leur avis et prendre en compte leurs remarques. Et tout se passe très bien avec ma famille, c’est une chance de travailler tous ensemble.

 «Dans la cuisine, c’est toujours une histoire de détails»

Ce que j’impose à ma famille, à mes recettes, c’est l’importance du détail ! Beaucoup de gens ne comprenne pas l’importance ni le sens du détail. Pourtant, c’est ce qui est primordial. C’est mon histoire, mon message ! Il faut également rester soi-même. Avec Instagram, internet, etc., nous sommes bombardés de recettes et photographies incroyables, qui nous donnent beaucoup d’idées, mais au final, tout se ressemble. Personnellement, je désire rester moi-même, avec ma signature.

Que faites-vous pour vous différencier des autres chefs ?

Je ne cherche pas forcément à me différencier mais à faire ce que j’aime et qui me plait ! Nous sommes des artisans, pas des artistes, car nous reproduisons tous les jours. Une recette faite le lundi doit être toute aussi réussite le mardi, le mercredi, et ainsi de suite. Si je cuisine quelque chose de délicieux le lundi, qui est raté le vendredi, ce que les gens se souviendront, c’est le plat raté du vendredi. Donc, il faut être aussi bon chaque jour. C’est en cela que je cherche à être un bon cuisinier.

 

De tous les produits que vous appréciez, quel est celui que vous préférez ?

C’est difficile de n’en choisir qu’un seul !!! Pour la complexité à travailler : la châtaigne. C’est un véritable fruit, qui a une saison et qui demande une certain technicité (il faut l’éplucher, enlever la deuxième peau, etc.). Et puis il y a la tomate que j’adore. C’est l’été, le bonheur ! Il y a tellement de variétés différentes en plus de cela : Les formes, les goûts, les saveurs, les couleurs, acides ou sucrées, cuites ou crues, c’est un fruit que l’on peut travailler autant en entrée, qu’en plat ou dessert.

Avez-vous déjà travaillé ailleurs qu’en Ardèche ?

Non. Mais je me verrais bien travailler ailleurs, pour découvrir d’autres produits. Notamment la Tasmanie, au sud de l’Australie, car c’est un fantasme de longue date. Mais la vraie gastronomie qui me plairait de travailler, c’est la cuisine japonaise ! Pour le soin du détail. Il n’y a aucun défaut possible dans cette cuisine. Il y a une mentalité là-bas où c’est désagréable de manger s’il n’y a pas une présentation parfaite, dont le visuel excite à l’avance les papilles. Ils sont dans la recherche du produit le plus beau, le plus pure. Il y a une qualité dans la gastronomie japonaise que nous n’avons pas ici. Le côté méticuleux. C’est une approche totalement différente, même ne serait-ce que les emballages. Il y a un packaging bien particulier et très strict qui me fascine.

Que pouvez-vous nous dire de la cuisine ardéchoise ?

Le mot qui me vient à l’esprit est « variété ». Les produits ardéchois sont très variés du fait que nous avons entre trois et quatre territoires en Ardèche et donc des produits différents et spécifiques à chacun de ces lieux. Il y a le plateau ardéchois qui est en altitude où l’on trouve des choux, navets, raves, lentilles, orge, pois-chiche, le sud de l’Ardèche et son climat plus méditerranéen avec les melons, asperges. Le milieu du département est gorgé de châtaigniers, et enfin dernière région, celle de la Vallée du Rhône, où nous avons les poissons de fleuve. Suite à cela, il y a encore des territoires plus spécifiques, comme la Vallée de l’Eyrieux qui a été très réputée pour la pêche grâce à son climat parfait. Nous avons également des plateaux un peu partout où se trouvent des élevages de qualités qui nous fournissent en bœuf, porc, cheval, agneau, chevreau etc… Le seul défaut de l’Ardèche, c’est que nous n’avons pas la mer. Il ne manquerait plus que les poissons.

 

Comment sélectionnez-vous vos produits (légumes, fruits, viandes, etc…) ?

La viande, c’est plutôt par rapport à la relation avec le boucher. Pour les légumes, je vais au marché à 7h du matin et je sélectionne comme tout le monde, suivant la qualité du produit, sa beauté… entre les producteurs du nord et du sud du département, cela me permet d’avoir des produits différents, et avec une durée plus longues. Les tomates, j’en ai des mûres dès le début de l’été avec des producteurs du sud, puis jusqu’à la toute fin de la saison, avec les producteurs du nord de l’Ardèche. Pratique !

Quels chefs/cheffes gastronomiques font partie de vos références ?

Michel Bras, sans hésitation ! Pour l’avance qu’il a eue sur son temps, il faut replacer le contexte en 1990. Son discours sur la cuisine locale, la cuisine des légumes, sur la cuisine moderne m’a plu. Sa cuisine était très novatrice à ce moment-là, et qui nous semble courante aujourd’hui. Sa curiosité m’a toujours beaucoup impressionné. Il est curieux par nature et s’intéresse à son terroir. Sa cuisine est une cuisine personnelle ! Il est un des rares chefs 3 étoiles à ne jamais être copié, dans le sens où il n’a pas d’enfant spirituel, mais il a énormément influencé ma génération par sa démarche. Aller chercher des produits locaux, aller dans les prés ramasser des herbes, aller voir les mamies pour savoir ce qu’elles mangeaient et comment elles cuisinaient….

Un autre chef qui fait partie de mes références est Claude Perroud, 3 étoiles à Paris. C’est le 1er chef chez qui j’ai mangé et c’est la première fois que je me suis dit que ce qui compte n’est pas le décor, ni le chichi que l’on met dans l’assiette mais ce que l’on met en bouche, la saveur que l’on obtient. Le premier plat que j’ai mangé chez lui, c’était une tarte de poivrons…. Pâte très fine, mousse de poivrons et dessus, de la gelée…. là, je suis resté sceptique avant d’avoir goûté. J’avais l’impression que c’était trop basique pour sa réputation et sa gastronomie. Et puis, lorsque j’ai mis cela en bouche…. explosion de saveurs, c’était extraordinaire ! Quant au plat principal, c’était une trilogie d’agneau. Des côtelettes cuites, blanquette superbement travaillée et des abats, tout était incroyable. C’était juste les produits, la cuisson, les saveurs. Le reste, c’est pour l’œil, mais cela doit rester secondaire ! On a tendance de vouloir en rajouter, pour que cela ait un look ultra tendance et beau. Alors qu’il faut d’abord se concentrer sur le goût et les saveurs !

Que pensez-vous de la cuisine suisse ?

Je vois la cuisine suisse comme étant relativement variée, fière de ses traditions. Mais ce n’est qu’une image, je n’y vais pas assez souvent pour pouvoir mieux en parler. Je perçois une grande diversité entre les régions, donc une belle variété de plats. Par contre, j’ai un joli souvenir de la Suisse: nous avons pris un café dans un salon de thé au bord du lac Léman il y a quelques années, c’était magnifique. La Suisse a vraiment de beaux paysages !

Pouvez-vous décrire votre cuisine en trois mots ?

Légumes, plaisir et détail.

Et vous-même, en trois mots ?

Partage, passion et détail…

 

Claude Brioude est non seulement intègre avec lui-même, mais également avec sa cuisine, honnête et sincère, emplie d’amour ayant pour but le partage d’émotions. S’il y a bien un lieu où il fait bon de s’arrêter pour déguster les produits ardéchois, c’est bien à l’Hôtel du Levant.